12-The servant


 Séance N°12 : 18 Mai 2016
The Servant
J. Losey
1963



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A/ ÉTUDE DU FILM
 

  • Commentaire philosophique

Qui est, au juste, The servant ? Hugo Barrett, qui va, dans un premier temps, servir avec tant d’efficacité et de style le jeune aristocrate Tony qui l’a engagé ? Où n’est-ce pas plutôt Tony qui, peu à peu devient prisonnier de la relation perverse qui se noue entre lui et son serviteur ? Bien sûr, la référence à la célèbre dialectique du maître et de l’esclave de Hegel, dans la Phénoménologie de l’esprit, s’impose immédiatement. L’oisiveté nonchalante de Tony, typique d’un sentiment de classe aristocratique où le jeune noble croit que tout lui est due sans qu’il n’ait besoin de se donner quelque mal que ce soit, en fait une proie facile. L’insouciance de son sentiment de supériorité confine à l’inconscience et à la naïveté, là où le domestique, trop conscient de l’infériorité de sa condition, avance sournoisement ses pions et trouve progressivement le moyen de prendre le pouvoir. Le renversement des valeurs, puissamment mis à jour par Nietzsche dans La généalogie de la morale rejoint ici la dialectique du maître et de l’esclave. Chez Hegel, l’esclave prenant conscience de sa liberté dans sa capacité à transformer la matière, s’élève en esprit en même temps que le maître devient dépendant de son savoir. Mais dans The servant, l’emprise exercée sur Tony par Hugo Barrett n’élève guère ce dernier. Bien au contraire, au fur et à mesure que son emprise s’accroit la perversion de sa conduite apparait au grand jour. Les deux hommes progressivement perdent l’un envers l’autre toute civilité pour se livrer à des jeux de plus en plus vicieux et malsains. Barrett ne devient pas noble à la place du noble, son ignominie et sa vulgarité se révèlent. Le masque de la bienséance qui, dans les premières images du film, lui donnait la classe des maîtres, est tombé. Décoiffé, en robe de chambre et la cigarette au bec il n’est plus qu’une brute virile jouant avec son « maître » masochiste et infantile. Mais qui tire les ficelles ? Le domestique a-t-il réellement pris le pouvoir sur son maître ou le maître satisfait-il enfin ses fantasmes refoulés en se servant des instincts grossiers de son domestique ? Plutôt qu’à une inversion des rôles (ou, au moins, en même temps que celle-ci) n’assiste-t-on pas surtout à un effondrement général des valeurs sous l’assaut des pulsions ? The servant se prête ainsi à plusieurs lectures philosophiques : d’un point de vue hégélien on assiste à une lutte des consciences pour leur reconnaissance, d’un point de vue marxiste à une lutte des classes sociales pour le pouvoir, d’un point de vue nietzschéen à un renversement des valeurs et d’un point de vue freudien à un effondrement du surmoi devant les assauts du ça. Ces différents points de vue ne sont pas contradictoires mais concomitants ce qui fait la richesse du film mais aussi son caractère éminemment troublant et dérangeant. Aucun point de vue ne peut nous installer dans une situation confortable. On ne peut, au nom de la lutte des classes, prendre le parti du domestique contre son maître tant son comportement relève plus de la perversion que de la révolution. On ne peut, au nom de la civilisation, prendre le parti du maître contre son serviteur, tant son comportement décadent révèle ce que le raffinement produit comme refoulement. « L’homme n’est ni ange ni bête » disait B. Pascal en rajoutant « et le malheur veut que, qui veut faire l’ange fait la bête. » (1) Ainsi la complexité des rapports entre Barrett et Tony est-elle aussi la métaphore de la complexité des conflits qui se nouent au plus profond de chaque homme entre les différents instincts qui le constituent. Désir d’élévation et de distinction contre passion du plaisir et de la cruauté, effort vers l’élégance et le style, facilité du laisser-aller et de la paresse. Admiration et envie, gratitude et ressentiment, amour et haine, nos sentiments se mêlent, s’entremêlent et s’emmêlent. « Notre corps n’est pas autre chose qu’un édifice d’âmes multiples ». (2)

C’est tout un travail, celui que Nietzsche qualifie de « grand style » que de savoir les ordonner en un ensemble harmonieux, car il est vain de vouloir déraciner ceux qui nous déplaisent le plus. Nous ne pouvons pas supprimer purement et simplement cette part obscure de nous-mêmes qui remonte à notre préhistoire mais, si nous ne voulons pas qu’elle nous déborde et prenne le pouvoir, nous devons apprendre à lui donner une juste place dans laquelle son énergie servira notre dépassement au lieu de nous avilir. « L’âme aussi a besoin de cloaques pour ses ordures, et d’eaux limpides qui la purifient. » (3)

(1) B. Pascal, Pensées, § 572, édition Le Guern.
(2) Nietzsche, Par delà bien et mal, I, 19. 
(3) Nietzsche, Gai savoir, V, § 351.
 PF





  • Textes philosophiques

"Le maître est la conscience qui est pour soi, et non plus seulement le concept de cette conscience. Mais c’est une conscience étant pour soi, qui est maintenant en relation avec soi-même par la médiation d’une autre conscience, d’une conscience à l’essence de laquelle il appartient d’être synthétisée avec l’être indépendant ou la choséité en général. Le maître se rapporte à ces deux moments, à une chose comme telle, l’objet du désir, et à une conscience à laquelle la choséité est l’essentiel. Le maître est : 1) comme concept de la conscience de soi, rapport immédiat de l’être-pour-soi, mais en même temps il est : 2) comme médiation ou comme être-pour-soi, qui est pour soi seulement par l’intermédiaire d’un Autre et qui, ainsi, se rapporte : a) immédiatement aux deux moments, b) médiatement à l’esclave par l’intermédiaire de l’être indépendant ; car c’est là ce qui lie l’esclave, c’est là sa chaîne dont celui-ci ne peut s’abstraire dans le combat ; et c’est pourquoi il se montra dépendant, ayant son indépendance dans la choséité. Mais le maître est la puissance qui domine cet être, car il montra dans le combat que cet être valait seulement pour lui comme une chose négative ; le maître étant cette puissance qui domine cet être. Pareillement, le maître se rapporte médiatement à la chose par l’intermédiaire de l’esclave ; l’esclave comme conscience de soi en général, se comporte négativement à l’égard de la chose et la supprime ; mais elle est en même temps indépendante pour lui, il ne peut donc par son acte de nier venir à bout de la chose et l’anéantir ; l’esclave la transforme donc par son travail. Inversement, par cette médiation le rapport immédiat devient pour le maître la pure négation de cette même chose ou la jouissance ; ce qui n’est pas exécuté par le désir est exécuté par la jouissance du maître ; en finir avec la chose ; mais le maître, qui a interposé l’esclave entre la chose et lui, se relie ainsi à la dépendance de la chose, et purement en jouit. Il abandonne le côté de l’indépendance de la chose à l’esclave, qui l’élabore."

G.W.F. Hegel, La phénoménologie de l’esprit (1806-1807), t.1, 
trad. J. Hyppolite, éd. Aubier Montaigne, 1941, pp. 161-162
Notes: 
Etre pour soi: être conscient de soi .
Choséité: réalité des choses non conscientes, le monde des choses matérielles.
Médiation: élément intermédiaire 
Être synthétisé : être dépassé et englobé, acquérir ainsi une réalité objective, reconnue.



"En observant les hommes autour de nous, on s'aperçoit vite que le désir mimétique, ou imitation désirante, domine aussi bien nos gestes les plus infimes que l'essentiel de nos vies, le choix d'une épouse, celui d'une carrière, le sens que nous donnons à l'existence.
Ce qu'on nomme désir ou passion n'est pas mimétique, imitatif accidentellement ou de temps à autre, mais tout le temps. Loin d'être ce qu'il y a de plus nôtre, notre désir vient d'autrui. Il est éminemment social... L'imitation joue un rôle important chez les mammifères supérieurs, notamment chez nos plus proches parents, les grands singes ; elle se fait plus puissante encore chez les hommes et c'est la raison principale pour laquelle nous sommes plus intelligents et aussi plus combatifs, plus violents que tous les mammifères.
L'imitation, c'est l'intelligence humaine dans ce qu'elle a de plus dynamique ; c'est ce qui dépasse l'animalité, donc, mais c'est ce qui nous fait perdre l'équilibre animal et peut nous faire tomber très au-dessous de ceux qu'on appelait naguère « nos frères inférieurs ». Dès que nous désirons ce que désire un modèle assez proche de nous dans le temps et dans l'espace, pour que l'objet convoité par lui passe à notre portée, nous nous efforçons de lui enlever cet objet et la rivalité entre lui et nous est inévitable.
C'est la rivalité mimétique. Elle peut atteindre un niveau d'intensité extraordinaire. Elle est responsable de la fréquence et de l'intensité des conflits humains, mais chose étrange, personne ne parle jamais d'elle. Elle fait tout pour se dissimuler, même aux yeux des principaux intéressés, et généralement elle réussit."

R. Girard, Celui par qui le scandale arrive, p. 18-19.




@ « Nous croyons que la culture a été créée sous la poussée des nécessités vitales et aux dépens de la satisfaction des instincts et qu’elle est toujours recréée en grande partie de la même façon, chaque nouvel individu qui entre dans la société humaine renouvelant, au profit de l’ensemble, le sacrifice de ses instincts. Parmi les forces instinctives ainsi refoulées, les émotions sexuelles jouent un rôle considérable ; elles subissent une sublimation, c’est-à-dire qu’elles sont détournées de leur but sexuel et orientées vers des buts socialement supérieurs et qui n’ont plus rien de sexuel. Mais il s’agit là d’une organisation instable ; les instincts sexuels sont mal domptés, et chaque individu qui doit participer au travail culturel court le danger de voir ses instincts sexuels résister à ce refoulement. La société ne voit pas de plus grave menace à sa culture que celle que présenteraient la libération des instincts sexuels et leur retour à leurs buts primitifs. Aussi la société n’aime-t-elle pas qu’on lui rappelle cette partie scabreuse des fondations sur lesquelles elle repose ; elle n’a aucun intérêt à ce que la force des instincts sexuels soit reconnue et l’importance de la vie sexuelle révélée à chacun ; elle a plutôt adopté une méthode d’éducation qui consiste à détourner l’attention de ce domaine. C’est pourquoi elle ne supporte pas ce résultat de la psychanalyse dont nous nous occupons : elle le flétrirait volontiers comme repoussant au point de vue esthétique, comme condamnable au point de vue moral, comme dangereux sous tous les rapports. Mais ce n’est pas avec des reproches de ce genre qu’on peut supprimer un résultat objectif du travail scientifique. »

Freud, Introduction à la psychanalyse, première partie, 1.




@ « S’agissant des restrictions qui frappent seulement certaines classes de la société, on trouve des situations terribles et d’ailleurs bien connues. On peut s’attendre à ce que ces classes défavorisées envient aux favorisés leurs privilèges et fassent tout pour en finir avec leur propre surcroît de privation. Si ce n’est pas possible, un mécontentement s’accumulera au sein de cette civilisation et sera susceptible d’aboutir à de dangereuses rébellions. Mais tant qu’une civilisation n’a pas dépassé le stade où la satisfaction d’un certain nombre de membres a pour condition l’oppression des autres, qui sont peut-être la majorité, et c’est le cas de toutes les civilisations actuelles, il est compréhensible que ces opprimés développent une hostilité intense envers la civilisation qu’ils rendent possible par leur travail, mais dont les biens ne leur échoient que pour une petite part. On ne saurait attendre de ces opprimés qu’ils intériorisent les interdits de la civilisation, au contraire ils ne sont pas disposés à reconnaître ces interdits, ils ont envie de détruire la civilisation elle-même, éventuellement d’en supprimer jusqu’aux conditions. L’hostilité de ces classes envers la civilisation est si patente qu’elle a empêché de voir l’hostilité plutôt latente des couches sociales mieux loties. Inutile de dire qu’une civilisation qui laisse insatisfaits un si grand nombre de ses membres et les pousse à la rébellion n’a pas l’espoir de se maintenir durablement et d’ailleurs ne le mérite pas. »


Freud, L’avenir d’une illusion, II.



@ « Mais quelle ingratitude, quelle courte vue, tout bonnement, que de souhaiter supprimer la civilisation ! Ce qui reste alors en effet c’est l’état de nature, et il est beaucoup plus difficile à supporter. C’est vrai, la nature n’exigerait pas de nous que nous retreignions nos pulsions, elle nous laisserait faire, mais elle a sa manière particulièrement efficace de nous restreindre, elle nous tue, froidement, cruellement, sans le moindre égard, éventuellement à l’occasion même de nos satisfactions. C’est précisément à cause de ces dangers dont la nature nous menace que nous nous sommes mis ensemble et avons créé la civilisation, qui est destinée, entre autres choses, à rendre aussi possible notre vie en commun. Car enfin c’est la principale tâche de la civilisation, le véritable fondement de son existence, que de nous défendre contre la nature. » 

Freud, L’avenir d’une illusion, III.



@ « L’animal s’identifie directement avec son activité vitale. Il ne se distingue pas d’elle. Il est cette activité. L’homme fait de son activité vitale elle-même l’objet de sa volonté et de sa conscience. Il a une activité vitale consciente. Ce n’est pas une détermination avec laquelle il se confond directement. L’activité vitale consciente distingue directement l’homme de l’activité vitale de l’animal. C’est précisément par là et par là seulement qu’il est un être générique. Ou bien il est seulement un être conscient, autrement dit sa vie propre est pour lui un objet, précisément parce qu’il est un être générique (1). Ou bien il est seulement un être conscient, autrement dit sa vie propre est pour lui un objet, précisément parce qu’il est un être générique. C’est pour cela seulement que son activité est activité libre. Le travail aliéné renverse le rapport de telle façon que l’homme, du fait qu’il est un être conscient, ne fait précisément de son activité vitale, de son essence qu’un moyen de son existence.

K. Marx, Manuscrits de 1844, premier manuscrit, p. 63, éditions sociales, 1972.

(1) « un être générique » : l’individu humain est capable de se dépasser pour l’Humanité.



@ « L’histoire de toute société jusqu’à nos jours est l’histoire de la lutte des classes.
Homme libre et esclave, patricien et plébéien, baron et serf, maître de jurande et compagnon – en un mot, oppresseurs et opprimés en perpétuelle opposition, ont mené une lutte ininterrompue, tantôt secrète, tantôt ouverte et qui finissait toujours soit par une transformation révolutionnaire de toute société, soit par la ruine commune des classes en lutte. (…) La société bourgeoise moderne élevée sur les ruines de la société féodale, n’a pas aboli les antagonismes de classes. Elle n’a fait que substituer à celles d’autrefois de nouvelles classes, de nouvelles conditions d’oppression, de nouvelles formes de lutte. »
K. Marx, Manifeste du Parti communiste.






  • Analyse cinématographique dans une perspective philosophique
    • Séquences étudiées

Une expérience de laboratoire : la liberté d'autrui nous échappe.

Il ne faut pas se fier à l’apparente simplicité du schéma que propose ce film. On voit naître sous nos yeux toute une complexité des rapports humains, dont le couple est la clé de voûte, mis en exergue par un mécanisme dialectique.

La première séquence du film permet à Losey de mettre en place les enjeux du scénario de Harold Pinter. Par un jeu savamment orchestré, depuis l’arrivée de Barret dans la rue, à l’apparence trompeuse, jusqu’à la scène à l’étage de la maison où Tony prend toute la mesure de son rang, le spectateur est embarqué dans un jeu de rôles. Ce qui semble intéresser Pinter/Losey dans ce scénario est la tragique et pathétique dramaturgie qui va se jouer entre ces deux hommes. Soulignons l’originalité de ce duo à l’époque (1963) du film. Le cinéma contemporain à l’habitude de mettre en scène des couples homme/femme. L’ensemble des digressions qu’opère Losey dans l’enchevêtrement des situations qui vont se présenter sera l’occasion de nous exposer comment émerge, évolue et s’achève la servitude.

Pour l’ensemble du film, voici un schéma possible qui montre l’évolution de la relation du couple Barret/Tony : 
  1. Barret servant engagé au service de Tony et Tony maître dans sa maison
  2. Arrivée d’un 3e personnage, la fiancée de Tony, Susan. Une relation triangulaire se met alors en place.
  3. Un nouveau couple se dessine par référence à un premier : Barret fragilise le lien entre Tony et Susan se rendant indispensable aux yeux de Tony.  
L’attitude, très notable dans l’hostilité, que développe Barret à l’encontre de Susan, se fait à travers les codes de la société aristocratique au sein de laquelle évoluent Tony et sa fiancée. Barret influence les goûts de Tony dans l’aménagement de la maison (couleurs, décoration,…). Du fait que la fiancée Susan n’habite pas encore avec Tony (raisons essentiellement codifiées par le rang social), Barret en profite pour se positionner. Cette intelligence qui le caractérise se détermine par les effets (pervers) qu’ils provoqueront chez l’autre. Tous ses gestes, attitudes, réflexions, intentions ne sont motivées que par les conséquences humaines qu’elles susciteront chez Tony ou Susan, en le déstabilisant dans son confort habituel. Ce jeu de manipulation incarné en Barret est la force motrice du film. Elle détermine la presque totalité des enjeux de pouvoir et des relations interpersonnelles. Ainsi en brisant le premier lien effectif entre Tony et Susan, Barret modifie son rôle et celui que nous – spectateur- pensions en avoir. Son personnage met en place des stratagèmes qui lui donnent en l’occurrence une évolutivité mais dont il peut subir les conséquences.

Barret est au centre du jeu et manipule les autres afin d’obtenir, pourrait on penser, plus de pouvoir. Mais quelle est sa véritable motivation ? Car Barret sert de catalyseur à la relation dans ce sens qu’il aide Tony à prendre conscience (forme de réveil à l’existence) de son rôle indispensable (Barret est celui qui « tient » la maison). Son utilité est sans faille, il lui permet de se décharger des tracas quotidiens de la vie et ainsi de lui permettre de se focaliser sur ses seuls plaisirs et futilités. De ce fait, Susan n’a qu’un rôle social d’apparat. Elle s’efface peu à peu du lien charnel qui pouvait être entrevu au début du film. A l’image de cette splendide scène dans le canapé où elle est plantée dans le décor comme un objet décoratif au même titre que le reste du mobilier. La mise en scène de Losey fait apparaître une force d’une cruauté absolue, n’épargnant rien aux personnages. Ce décor constitué par la maison est lui-même un personnage du film, qui met en perspective la fonction et la puissance des rapports humains. Il est le réceptacle de cet abîme. La mise en scène n’épargne rien aux différents protagonistes durant tout le film.

On voit à l’œuvre une belle complicité entre un scénariste (Pinter qui travaillera encore avec Losey dans Accident, autre vision de la déchéance bourgeoise) et un réalisateur. Ce film reste un bel exemple de cette osmose complémentaire entre une réalisation technique (fruit de la mise en scène cinématographique) et l’écriture approfondie d’un scénario (Pinter est un auteur de pièces de théâtre). Ce couple pourrait se retrouver dans le film si on file la métaphore dans ce lien particulier, propre au cinéma, entre un scénariste qui dépend de la mise en scène et d’un réalisateur qui est soumis à un scénario.

4.     L’introduction d’un 4e personnage dans le récit, Vera (la soi-disant fiancée de Barret) va modifier et troubler plus à même l’équilibre –instable- entre Barret et Tony.

Alors que la relation est sensiblement équilibrée, Barret en profite pour demander à Tony de partir un week-end (il invente une raison pour valider ce départ). A son retour il lui présente Vera. Nous avons dorénavant deux couples en présence, soit des possibilités d’agencements qui augmentent. Losey/Pinter nous font assister à une expérience avec des « rats de laboratoire » pris dans une cage (la maison de Tony). C’est ce qui semble les intéresser afin de mettre à l’épreuve, chaque fois qu’un paramètre (humain) est modifié ou ajouté.

En tombant amoureux de la charmante Vera, Tony va mettre en péril son couple avec Susan et celui avec Barret. Plus le machiavélisme de Barret augmente en intensité, plus la machine infernale s’emballe et le contrôle qu’il pouvait avoir au début du film sur les autres et sur les choses, se dérègle. Car l’humain finalement est imprévisible et sa liberté hors de contrôle. La tournure que prend la relation avec Barret est de plus en plus ubuesque et le réalisme fait place au surréalisme et au mauvais mélodrame pathétique. 
Le spectateur, de plus en plus désorienté par le manque de repères que les interactions entre les personnages provoquent, subit les effets incontrôlables d'une réaction en chaîne non maîtrisée. Comme si Losey/Pinter voulaient nous montrer comment cette « réaction chimique » évolue sans la main mise extérieure de l’homme. Ils (les auteurs et Barret) ont créé un "monstre" dont ils ne maîtrisent plus les faits et gestes. 

 SL


    • Fiche technique du film

Titre original : The Servant
Titre français : The Servant
Réalisation : Joseph Losey
Scénario : Harold Pinter, d'après le roman de Robin Maugham
Décors : Richard Macdonald, Ted Clements
Costumes : Beatrice Dawson
Photographie : Douglas Slocombe
Montage : Reginald Mills
Musique : John Dankworth
Production : Joseph Losey, Norman Priggen
Société de production : Springbok Productions
Sociétés de distribution : Elstree Distributors (R-U), Les Acacias (France)
Pays d'origine : Angleterre
Langue : Anglais
Genre : Comédie dramatique
Format : Noir et blanc - 35 mm - 1,66:1 - Son mono
Durée : 116 minutes
Dates de sortie : Royaume-Uni : novembre 1963 ; France : 10 avril 1964

Source : Wikipédia



B/ PROGRAMME DE PHILOSOPHIE

  • Notions du programme 
    • Le désir
    • La liberté
    • Le travail
    • Les échanges
    • la technique
    • Autrui 
  • Notions philosophiques induites
    • La soumission
    • Le sadisme
    • Le masochisme
    • L'ambition
    • L'emprise
    • Le pouvoir
    • Le jeu
    • L'apparence
    • Les codes sociaux
    • Le choix
    • Désir mimétique
  • Sujets de philosophie
    • Sujets possibles :
       
      • Dans quelle mesure le regard d'autrui peut-il m'aider à mieux me connaître ?
      • Faut-il se libérer de toute honte ?
      • La liberté consiste-t-elle à ne rien avoir à faire ?
      • Jusqu'à quel point dépend-t-on de son origine sociale ?
      • Peut-on échapper à toute forme de hiérarchie dans la relation à autrui ?

    • Sujet traité avec corrigé :

  • Philosophes concernés
    • Hegel
    • Freud
    • Marx
  • Philosophes concernés (hors programme)
    • Girard
  • Écrivains concernés


  • Liens avec d'autres films du cycle :
    • Fenêtre sur cour (aliénation, dépendance)

 

 

C/ TESTS ET EXERCICES

 

  • Questions de recherches cinématographiques 
    • Citer d'autres films qui traitent de la servitude au cinéma.
    • Quel réalisateur est animé par cette thématique tout au long de sa filmographie ?
      • Avec quel scénariste a t-il travaillé ? 
      • Quelle est l'actrice française qui a débutée avec lui ? Dans quel film ?
      •  
    • Quel film français met en scène une postière et une servante dans une villa bourgeoise ?
    • Quels sont les points de convergences et de divergences entre le film de Losey et celui-ci ?
    • Quelle est l'autre collaboration entre H. Pinter et J. Losey ? 
      • Quels sont les points communs avec The Servant ?


  • Questions de culture philosophique

    • Quels signes symboliques de distinction sociale font l’objet aujourd’hui d’un fort attrait commercial ? 
      • Quelles marques ? 
      • Quels objets sont particulièrement valorisants ? 
      • Qu’en penser ? 
       
    • Les inégalités sociales ont-elles toujours existé ? 
      • Sont-elles plus importantes ou moins importantes aujourd’hui ? 
      • Leurs formes ont-elles changées ? 

    •  Peut-on encore rêver d’un monde sans inégalités sociales ? 
      • A quoi ressemblerait-il ?

    •  Le travail est-il nécessairement asservissant ? 
      • Peut-on s’épanouir dans le travail et, si c’est le cas, à quelles conditions ?

    •  Identifie les auteurs des citations suivantes :
      • « Le travail est la meilleure et la pire des choses : la meilleure, s’il est libre ; la pire s’il est serf »
      • « L’histoire de toute société jusqu’à nos jours est l’histoire de la lutte des classes. »
      • Le «travail constitue la meilleure des polices »
      • « Ce que nous avons devant nous, c’est la perspective d’une société de travailleurs sans travail, c’est-à-dire privés de la seule activité qui leur reste. On ne peut rien imaginer de pire. »



  • Suggestions et réponses