7-There will be blood

Séance N°7 : 17 Mars 2016
There will be blood
P. T. Anderson
2007








A/ ÉTUDE DU FILM
 

  • Commentaire philosophique

Le titre annonce la couleur et la fin sera effectivement d’une brutalité difficilement soutenable par son réalisme. Ici on voit ce que meurtre veut dire et on aurait presque l’impression d’assister à celui d’Abel par Cain, s’il n’avait pas lieu sur la piste d’un bowling, jeu totalement inconnu aux temps bibliques. De la Bible, pourtant, il est beaucoup question dans ce film noir et âpre qui nous montre des hommes durs s’affrontant dans leur quête pour…pour quoi au juste ? Bien sûr, pour la fortune, puisqu’il est question de pétrole et du développement du capitalisme au début du XX° siècle. Cependant, est-ce si simple ? Eli Sunday ne demande pas que de l’argent à Daniel Plainview, mais aussi et surtout la construction d’une église, son « Eglise de la troisième révélation » et il semble très désireux de bénir le puits de celui qu’il considère comme l’ayant spolié. Le saint homme. Enfin quand Eli aura la mauvaise idée de venir relancer Daniel chez lui, ne le trouvera-t-il pas ivre mort, d’alcool et de solitude, vautré sur sa magnifique et vaine piste de bowling ? Daniel, visiblement, a fait fortune, mais cela ne semble pas l’avoir comblé de bonheur, ni adouci son caractère. Tout au long du film ces deux là se sont affrontés, l’un à l’aide d’une force de volonté brutale et directe, animale, entièrement tendue dans l’effort pour parvenir à son but en dépassant tous les obstacles et toutes les difficultés, quitte à abandonner en chemin l’enfant adopté, quitte à aller jusqu’au crime ; l’autre en empruntant des voies détournées, plus sournoises, en empruntant le masque de l’homme de foi. Le rapport de force entre les deux hommes est violent. La scène où Eli contraint Daniel à avouer ses péchés et à se repentir publiquement est particulièrement impressionnante. On y voit très clairement comment la foi religieuse peut s’avérer un excellent instrument de pouvoir et de domination. La force symbolique de la scène est renforcée par le combat qui se livre, chez Daniel, entre le désir de faire cesser l’humiliation et celui d’aller jusqu’au bout pour obtenir ce qu’il désire. Alors qu’Eli semble triompher, c’est la volonté de Daniel qui est la plus forte parce qu’il est prêt à sacrifier sa fierté à ses objectifs. Lorsque Eli viendra le voir dans l’espoir de s’associer avec lui, Daniel lui imposera de reconnaître que la religion n’est qu’un masque, dont il se sert pour ses ambitions. Eli, à son tour, devra se renier, mais il n’y a pas de public et il est trop tard. Daniel n’est pas porté sur le pardon des offenses, la rancune accumulée va s’exercer directement, physiquement, Daniel tue Eli. On peut voir dans ces deux personnages deux figures de ce que Schopenhauer appelait le « vouloir vivre » ou, plus simplement, la Volonté. Deux individus assoiffés, avides, insatisfaits. Daniel a cependant une façon plus directe, brutale certes, mais plus franche, d’exercer sa volonté. Le ressentiment l’envahi sur le tard, alors qu’il a matériellement réussi mais se retrouve seul. La rancœur pour les obstacles accumulés qu’il a dû surmonter a été trop forte et elle va se déverser sur Eli. Celui-ci, dés le départ, se montre intelligent mais, plus faible physiquement, il est obligé de ruser, de jouer la comédie de la foi. C’est une sorte de Tartuffe plein d’un ressentiment qui éclate parfois sur plus faible que lui, comme son propre père. Il ne prend pas pleinement la mesure de la haine que lui voue Daniel et cela causera sa perte. Ces deux figures d’un vouloir aveugle qui ne trouve pas de satisfaction alors même, dans le cas de Daniel, qu’il accompli ses objectifs, représentent le pouvoir religieux et le pouvoir économique. Le pouvoir religieux a cru pouvoir s’allier au pouvoir économique et peut-être même exercer une emprise sur lui en faisant écrire sur le Dollar : « In God we trust », mais en fait c’est le pouvoir économique qui domine et la religion, en particulier aux États-Unis, n’est qu’un business comme un autre, oubliant une certaine parole évangélique : «Vous ne pouvez servir Dieu et l’argent.», Evangile selon saint Luc, 16, 13.

PF



  • Textes philosophiques 


"Tout homme a une conscience et se trouve observé, menacé, de manière générale tenu en respect (respect lié à la crainte) par un juge intérieur et cette puissance qui veille en lui sur les lois n’est pas quelque chose de forgé (arbitrairement) par lui-même, mais elle est inhérente à son être. Elle le suit comme son ombre quand il pense lui échapper. Il peut sans doute par des plaisirs et des distractions s’étourdir ou s’endormir, mais il ne saurait éviter parfois de revenir à soi ou de se réveiller, dès lors qu’il en perçoit la voix terrible. Il est bien possible à l’homme de tomber dans la plus extrême abjection où il ne se soucie plus de cette voix, mais il ne peut jamais éviter de l’entendre. 
Cette disposition intellectuelle originaire et (puisqu’elle est la représentation du devoir) morale, qu’on appelle conscience a elle-même ceci de particulier, que bien que l’homme n’y ait affaire qu’avec lui-même, il se voit cependant contraint par sa raison d’agir comme sur l’ordre d’une autre personne. Car le débat dont il est ici question est celui d’une cause judiciaire (causa) devant un tribunal. Concevoir celui qui est accusé par sa conscience comme ne faisant qu’une seule et même personne avec le juge est une manière absurde de se représenter le tribunal ; car s’il en était ainsi l’accusateur perdrait toujours. – C’est pourquoi pour ne pas être en contradiction avec elle-même la conscience humaine en tous ses devoirs doit concevoir un autre (comme l’homme en général) qu’elle-même comme juge de ses actions. Cet autre peut être maintenant une personne réelle ou seulement une personne idéale que la raison se donne à elle-même."
Kant, Doctrine de la vertu (1797)


« La sauvagerie, force et puissance de l'homme dominé par les passions, […] peut être adoucie par l'art, dans la mesure où celui-ci représente à l'homme les passions elles-mêmes, les instincts et, en général, l'homme tel qu'il est. En se bornant à dérouler le tableau des passions, l'art, alors même qu'il les flatte, le fait pour montrer à l'homme ce qu'il est, pour l'en rendre conscient. C'est déjà en cela que consiste son action adoucissante, car il met ainsi l'homme en présence de ses instincts, comme s'ils étaient en dehors de lui, et lui confère de ce fait une certaine liberté à leur égard. Sous ce rapport, on peut dire de l'art qu'il est un libérateur. Les passions perdent leur force, du fait même qu'elles sont devenues objets de représentations, objets tout court. L'objectivation des sentiments a justement pour effet de leur enlever leur intensité et de nous les rendre extérieurs, plus ou moins étrangers. Par son passage dans la représentation, le sentiment sort de l'état de concentration dans lequel il se trouvait en nous et s'offre à notre libre jugement. Il en est des passions comme de la douleur : le premier moyen que la nature met à notre disposition pour obtenir un soulagement d'une douleur qui nous accable, sont les larmes ; pleurer, c'est déjà être consolé. Le soulagement s'accentue ensuite au cours de conversations avec des amis, et le besoin d'être soulagé et consolé peut nous pousser jusqu'à composer des poésies. C'est ainsi que dès qu'un homme qui se trouve plongé dans la douleur et absorbé par elle est à même d'extérioriser cette douleur, il s'en sent soulagé, et ce qui le soulage encore davantage, c'est son expression en paroles, en chants, en sons et en figures. Ce dernier moyen est encore plus efficace. »
F. Hegel



“Tout ce qui résulte d’un temps de guerre, où tout homme est l’ennemi de tout homme, résulte aussi d’un temps où les hommes vivent sans autre sécurité que celle que leur propre force et leur propre capacité d’invention leur donneront. Dans un tel état, il n’y a aucune place pour un activité laborieuse, parce que son fruit est incertain; et par conséquent aucune culture de la terre, aucune navigation, aucun usage de marchandises importées par mer, aucune construction convenable, aucun engin pour déplacer ou soulever des choses telles qu’elles requièrent beaucoup de force; aucune connaissance de la surface de la terre, aucune mesure du temps; pas d’arts, pas de lettres, pas de société, et, ce qui le pire de tout, la crainte permanente, et le danger de mort violente; et la vie de l’homme est solitaire, indigente, dégoûtante, animale et brève”

 Hobbes, Le Leviathan

"Tout sentiment de peine est inséparable du désir de s'en délivrer ; toute idée de plaisir est inséparable du désir d'en jouir ; tout désir suppose privation, et toutes les privations qu'on sent sont pénibles ; c'est donc dans la disproportion de nos désirs et de nos facultés que consiste notre misère. Un être sensible dont les facultés égaleraient les désirs serait un être absolument heureux.
En quoi donc consiste la sagesse humaine ou la route du vrai bonheur ? Ce n'est pas précisément à diminuer nos désirs ; car, s'ils étaient au-dessous de notre puissance, une partie de nos facultés resterait oisive, et nous ne jouirions pas de tout notre être. Ce n'est pas non plus à étendre nos facultés, car si nos désirs s'étendaient à la fois en plus grand rapport, nous n'en deviendrions que plus misérables : mais c'est à diminuer l'excès des désirs sur les facultés, et à mettre en égalité parfaite la puissance et la volonté. C'est alors seulement que, toutes les forces étant en action, l'âme cependant restera paisible, et que l'homme se trouvera bien ordonné."

Rousseau, Émile ou De l'éducation.



Textes extraits de l’œuvre de Nietzsche :

« Partout où j'ai trouvé du vivant, j'ai trouvé de la volonté de puissance ; et même dans la volonté de celui qui obéit, j'ai trouvé la volonté d'être maître. […] Et la vie elle-même m'a confié ce secret : “Vois, m'a-t-elle dit, je suis ce qui doit toujours se surmonter soi-même. […] Et toi aussi, toi qui cherches la connaissance, tu n'es que le sentier et la piste de ma volonté : en vérité, ma volonté de puissance marche aussi sur les traces de ta volonté du vrai ! Il n'a assurément pas rencontré la vérité, celui qui parlait de la ‘volonté de vie', cette volonté – n'existe pas. Car : ce qui n'est pas, ne peut pas vouloir ; mais comment ce qui est dans la vie pourrait-il encore désirer la vie ! Ce n'est que là où il y a de la vie qu'il y a de la volonté : pourtant ce n'est pas la volonté de vie, mais […] la volonté de puissance. Il y a bien des choses que le vivant apprécie plus haut que la vie elle-même ; mais c'est dans les appréciations elles-mêmes que parle – la volonté de puissance !” » 
Ainsi parlait Zarathoustra


« La valeur de la vie ne saurait être évaluée. Pas par un vivant, car il est partie, et même objet de litige ; pas davantage par un mort, pour une tout autre raison ». 

Le Crépuscule des idoles


« Le caractère général du monde est au contraire de toute éternité chaos, non pas au sens de l’absence de nécessité, mais au sens de l’absence d’ordre, d’articulation, de forme, de beauté, de sagesse et de tous nos anthropomorphismes esthétiques quelque nom qu’on leur donne. A en juger du point de vue de notre raison, ce sont les coups malheureux qui constituent la règle, les exceptions ne sont pas le but secret et tout le carillon répète éternellement son air, qui ne mérite jamais d’être qualifié de mélodie ». 
Le Gai Savoir


« Mais qu’est-ce que la vie ? Sur ce point, une nouvelle version plus déterminée du concept de « vie » est donc nécessaire : à ce propos ma formule s’appelle : la vie est volonté de puissance » 

Fragment posthume de 1885-1886



« Car tout en vous sacrifiant avec enthousiasme et en vous immolant vous-mêmes, vous jouissez de l’ivresse que procure la pensée de ne plus faire qu’un, désormais, avec le puissant, fût-il dieu ou homme, auquel vous vous consacrez : vous êtes enivrés du sentiment de sa puissance que vient de confirmer un nouveau sacrifice. En vérité vous vous sacrifiez seulement en apparence, car par la pensée vous vous métamorphosez plutôt en dieux, et vous jouissez de vous-mêmes comme si vous étiez des dieux » 
Aurore



 « Que la hauteur solitaire ne soit pas éternellement vouée à la solitude et ne se contente pas éternellement d’elle-même ; que la montagne descende à la vallée et que les vents des sommets descendent vers les bas-fonds »
Ainsi parlait Zarathoustra



 « La volonté de puissance interprète : dans la formation d’un organe il s’agit d’une interprétation, elle délimite, détermine des degrés et des différences de puissance. […] En vérité l’interprétation est en elle-même un moyen pour devenir maître de quelque chose » 

Fragment posthume de 1885



@ " Lues d’un astre lointain, les lettres majuscules de notre existence terrestre pourraient conduire à conclure que la terre est l’étoile ascétique par excellence, un coin habité par des créatures mécontentes, hautaines et répugnantes, atteintes d’un incurable et profond dégoût d’elles-mêmes, de la terre et de toute vie, et qui s’acharnent à se faire souffrir pour le plaisir de faire souffrir : - probablement leur seul plaisir. Il suffit de considérer avec quelle régularité et quelle constance, le prêtre ascétique a fait son apparition à presque toutes les époques ; il n’appartient à aucune race en particulier ; il prospère partout ; il provient de toutes les classes sociales. Ce n’est pas qu’il cultive et propage par hérédité sa manière d’estimer : tout au contraire, - grossièrement parlant, un instinct profond lui interdit de se reproduire. Ce doit être une nécessité de premier ordre qui fait croître et prospérer sans cesse cette espèce ennemie de la vie, - ce doit être un intérêt de la vie elle-même qu’un tel type de contradiction de soi ne périsse pas. Car une vie ascétique est une contradiction de soi : il y règne un ressentiment sans égal, celui d’un instinct insatisfait, d’une volonté de puissance qui voudrait dominer non pas quelque chose dans la vie mais la vie elle-même, ses conditions majeures, les plus profondes, les plus fondamentales ; on essaie là d’utiliser la force pour couper les sources de la force ; fielleux et mauvais, les regards y dénoncent même l’épanouissement physiologique, en particulier ce qui en est l’expression, la beauté et la joie (…). Le prêtre ascétique est le désir incarné de vivre-autrement, de vivre ailleurs, il est le suprême degré de ce désir, sa ferveur et sa passion véritables : mais la puissance même de son désir est le lien qui le rattache au monde, et c’est ainsi qu’il devient un instrument, (…) c’est par cette puissance même qu’il rallie à la vie tout le troupeau des mal-venus, des mécontents, des disgraciés, des malchanceux, de ceux qui souffrent d’eux-mêmes, en se faisant instinctivement leur berger et leur guide."

F. Nietzsche, La généalogie de la morale.




@ " La volonté, la volonté sans intelligence (en soi, elle n’est point autre), désir aveugle, irrésistible, telle que nous la voyons se montrer encore dans le monde brut, dans la nature végétale et dans leurs lois, aussi bien que dans la partie végétative de notre propre corps, cette volonté, dis-je, grâce au monde représenté, qui vient s’offrir à elle et qui se développe pour la servir, arrive à savoir qu’elle veut, à savoir ce qu’est ce qu’elle veut ; c’est ce monde même, c’est la vie, telle justement qu’elle se réalise là. Voilà pourquoi nous avons appelé ce monde visible le miroir de la volonté, le produit objectif de la volonté. Et comme ce que la volonté veut, c’est toujours la vie, c’est-à-dire la pure manifestation de cette volonté, dans les conditions convenables pour être représentée, ainsi c’est faire un pléonasme que de dire : « la volonté de vivre », et non pas simplement « la volonté », car c’est tout un. Donc, la volonté étant la chose même en soi, le fond intime, l’essentiel de l’univers, tandis que la vie, le monde visible, le phénomène, n’est que le miroir de la volonté, la vie doit être comme la compagne inséparable de la volonté : l’ombre ne suit pas plus nécessairement le corps ; et partout où il y a de la volonté, il y aura de la vie, un monde enfin."


Arthur Schopenhauer, Le monde comme volonté et comme représentation.



@  "Déjà en considérant la nature brute, nous avons reconnu pour son essence intime l’effort, un effort continu, sans but, sans repos ; mais chez la bête et chez l’homme, la même vérité éclate bien plus évidemment. Vouloir, s’efforcer, voilà tout leur être ; c’est comme une soif inextinguible. Or tout vouloir a pour principe un besoin, un manque, donc une douleur ; c’est par nature, nécessairement, qu’ils doivent devenir la proie de la douleur. Mais que la volonté vienne à manquer d’objet, qu’une prompte satisfaction vienne à lui enlever tout motif de désirer, et les voilà tombés dans un vide épouvantable, dans l’ennui ; leur nature, leur existence leur pèse d’un poids intolérable. La vie donc oscille, comme un pendule, de droite à gauche, de la souffrance à l’ennui ; ce sont là les deux éléments dont elle est faite, en somme. De là ce fait bien significatif par son étrangeté même : les hommes ayant placé toutes les douleurs, toutes les souffrances dans l’enfer, pour remplir le ciel n’ont plus trouvé que l’ennui. "


Arthur Schopenhauer, Le monde comme volonté et comme représentation.



@ "Supposons un homme en qui la volonté est animée d’une passion extraordinairement ardente ; en vain, dans la fureur du désir, il ramasserait tout ce qui existe pour l’offrir à sa passion et la calmer ; nécessairement il éprouvera bientôt que tout contentement est de pure apparence, que l’objet possédé ne tient jamais les promesses de l’objet désiré, car il ne nous donne pas l’assouvissement final de notre fureur, de notre volonté ; que le désir satisfait change seulement de figure et prend une forme nouvelle pour nous torturer encore ; qu’enfin les formes possibles fussent-elles toutes épuisés, le besoin de vouloir, sans motif connu, subsisterait et se révélerait sous l’aspect d’un sentiment de vide, d’ennui affreux ; torture atroce ! Dans un état de faible développement de la Volonté, tous ces efforts ne se font que faiblement ressentir et ne produisent en nous que la dose commune d’humeur noire ; mais chez celui en qui la volonté se manifeste jusqu’au degré où elle est la méchanceté bien déterminée, il naît de là nécessairement une douleur extrême, un trouble inapaisable, une incurable souffrance ; aussi, incapable de se soulager directement, il recherche le soulagement par une voie indirecte, il se soulage à contempler le mal d’autrui, et à penser que ce mal est un effet de sa puissance à lui. Ainsi le mal des autres devient proprement son but ; c’est un spectacle qui le berce ; et voilà comment naît ce phénomène, si fréquent dans l’histoire, de la cruauté au sens exact du mot, de la soif de sang, telle qu’on la voit chez les Néron, les Domitien, les Deys barbaresques, chez un Robespierre, etc."

Arthur Schopenhauer, Le monde comme volonté et comme représentation.


“Le travail est de prime abord un acte qui se passe entre l’homme et la nature. L’homme y joue lui-même vis-à-vis de la nature le rôle d’une puissance naturelle. Les forces dont son corps est doué, bras et jambes, tête et mains, il les met en mouvement, afin de s’assimiler des matières en leur donnant une forme utile à sa vie. En même temps qu’il agit par ce mouvement sur la nature extérieure et la modifie, il modifie sa propre nature, et développe les facultés qui y sommeillent. Nous ne nous arrêterons pas à cet état primordial du travail où il n’a pas encore dépouillé son mode purement instinctif. Notre point de départ c’est le travail sous une forme qui appartient exclusivement à l’homme. Une araignée fait des opérations qui ressemblent à celles du tisserand, et l’abeille confond par la structure de ses cellules de cire l’habileté de plus d’un architecte. Mais ce qui distingue dès l’abord le plus mauvais architecte de l’abeille la plus experte, c’est qu’il a construit la cellule dans sa tête avant de la construire dans la ruche. Le résultat auquel le travail aboutit, préexiste idéalement dans l’imagination du travailleur. Ce n’est pas qu’il opère seulement un changement de forme dans les matières naturelles ; il y réalise du même coup son propre but dont il a conscience, qui détermine comme loi son mode d’action, et auquel il doit subordonner sa volonté”.

Karl Marx, Le capital (1867)


"Dans le cours des siècles, la science a infligé à l’égoïsme naïf de l’humanité deux graves démentis. La première fois, ce fut lorsqu’elle a montré que la terre, loin d’être le centre de l’univers, ne forme qu’une parcelle insignifiante du système cosmique dont nous pouvons à peine nous représenter la grandeur. Cette première démonstration se rattache pour nous au nom de Copernic, bien que la science alexandrine (1ait déjà annoncé quelque chose de semblable. Le second démenti fut infligé à l’humanité par la recherche biologique, lorsqu’elle a réduit à rien les prétentions de l’homme à une place privilégiée dans l’ordre de la création, en établissant sa descendance du règne animal et en montrant l’indestructibilité de sa nature animale. Cette dernière révolution s’est accomplie de nos jours, à la suite des travaux de Ch. Darwin, de Wallace’ et de leurs prédécesseurs, travaux qui ont provoqué la résistance la plus acharnée des contemporains. Un troisième démenti sera infligé à la mégalomanie humaine par la recherche psychologique de nos jours qui se propose de montrer au moi qu’il n’est seulement pas maître dans sa propre maison, qu’il en est réduit à se contenter de renseignements rares et fragmentaires sur ce qui se passe, en dehors de sa conscience, dans sa vie psychique. Les psychanalystes ne sont ni les premiers ni les seuls qui aient lancé cet appel à la modestie et au recueillement, mais c’est à eux que semble échoir la mission d’étendre cette manière de voir avec le plus d’ardeur et de produire à son appui des matériaux empruntés à l’expérience et accessibles à tous. D’où la levée générale de boucliers contre notre science, l’oubli de toutes les règles de politesse académique, le déchaînement d’une opposition qui secoue toutes les entraves d’une logique impartiale."

Sigmund Freud, Introduction à la psychanalyse (1916)



« Nous arrivons donc à la définition suivante : une religion est un système solidaire de croyances et de pratiques relatives à des choses sacrées, c’est-à-dire séparées, interdites, croyances et pratiques qui unissent en une même communauté morale, appelée Église, tous ceux qui y adhèrent. Le second élément qui prend ainsi place dans notre définition n’est pas moins essentiel que le premier car, en montrant que l’idée de religion est inséparable de l’idée d’Église, il fait pressentir que la religion doit être une chose éminemment collective. »

Durkheim, Les Formes élémentaires de la vie religieuse, 1912




  • Analyse cinématographique dans une perspective philosophique

    • Séquences étudiées 

      • Séquence finale : la dernière rencontre entre Daniel Plainview et Eli Sunday.

Le territoire et le pouvoir. 


Cette séquence sonne comme l'apothéose grandiloquente d'une relation entre deux hommes qui se haïssent, ambitieux et conquérants. 
Le premier, Daniel Plainview est le terrien, celui pour lequel sa seule force physique suffit à bâtir un territoire. La première séquence du film est à ce titre un morceau d'anthologie du cinéma moderne, sans un seul dialogue, un homme seul creuse la terre pour y  trouver ce qui va faire sa fortune. L'important est d'atteindre son objectif, quel qu'en soit le prix, à la seule force mentale et physique. Toute la personnalité de ce personnage se trouve résumée dans ces dix minutes de confrontation d'un homme avec son milieu. Aridité, brutalité, pugnacité, bestialité qualifient les efforts de Daniel. P.T.A. montre à l’œuvre la détermination d'un homme, qui commence seul et finira dans une même solitude. Que le film se déroule au début du 20è siècle n'est pas anodin, au tournant de l'ère industrielle et d'un capitalisme prospère naissant.
Pour bâtir son territoire, Daniel a besoin de conquérir d'autres territoires, des terrains qu'il devra acheter pour faire passer un pipe-line. Après cette démonstration dans la première séquence de sa force psychique et physique, Daniel doit manœuvrer les esprits pour les rallier à sa cause. Il doit négocier. L’aridité du territoire, peu encline au développement et à l'hospitalité, ajoute au personnage incarné par D. D. Lewis toute sa sécheresse, sa radicalité, son austérité et au final, sa force. Il est en lutte permanente avec lui-même, tantôt à cause des éléments extérieurs qu'il s'acharne à combattre, tantôt avec son fils qu'il aime mais qu'il n'a pas la patience d'élever. On relèvera à ce sujet la scène où après un long travelling de gauche à droite qui longe le pipe-line, on découvre, en profondeur de champ, le fils de Daniel, arrivant en voiture, et son père qui le prend dans ses bras. P. T. A. filme ces retrouvailles avec une délicatesse et une distance qui nous rendent le personnage de Daniel plus attachant que jamais. Une séquence d'une extraordinaire densité cinématographique qui cristallise tout le savoir faire du réalisateur et le sens de son film. Dans Magnolia déjà, les préoccupations de P.T.A. concernant la filiation étaient explicitent. Comment (ré)concilier l'amour d'un père, au crépuscule de sa vie, et d'un fils qui brille par son arrogance ?
Tout, dans There will be blood, se passe au travers de la négociation. Elle est le moteur des hommes qui veulent conquérir. C'est à ce prix que le pouvoir s'obtient. Qu'il s'agisse d'Elie pour obtenir sa paroisse ou de Daniel qui veut son pipe-line et ses concessions pétrolifères.
La confrontation avec le personnage d'Elie et son évolution au fil du temps incarnera cette irrépressible "volonté de puissance", expression de cette force nietzschéenne qui anime Daniel.






Pour comprendre cette dernière séquence analysons les tenants et aboutissants qui déterminent les actes des deux protagonistes dans la perspective filmique :
A l'image des autres rencontres, la façon de filmer de P.T. Anderson est en parfaite adéquation avec le rôle qu'il donne à tour de rôle à chacun de ses personnages. Ainsi de retrouver Daniel allongé au sol, ivre, abattu (ce plan où la caméra est au niveau du sol n'est pas sans rappeler la plan où Eli était couvert de boue par Daniel et rué de coups). A ce titre le réalisateur n'épargne aucun de ses protagonistes, leur faisant jouer à tour de rôles les positions inverses, où la domination est tantôt détenue par l'un et tantôt la possession de l'autre. Daniel est au plus haut de sa condition économique (il a fait fortune avec l'exploitation du pétrole) et au plus bas de sa condition humaine. Dépeint comme un misanthrope qui vit en bête recluse, il est seul et totalement isolé du monde. Eli, tel un éveilleur de conscience qu'il a espérer être, s’accroupit pour parler à Daniel. Cette scène est très touchante car nous voyons à l’œuvre le réveil d'une bête que nous pensions à l'agonie. Les ressources de Daniel sont décidément inextinguibles et à l'aune de la scène du début où sa force (physique) était montrée à l'écran, une autre force est à l’œuvre ici. Il se redresse et peu à peu on va observer un échange de forces comme des vases communicants. S'en suit cette scène où ils discutent et Daniel mange tel un ogre affamé et boit "comme un trou". Il reprend ses forces. La bête sauvage est en action. Une bête qui utilise le langage comme moyen de dissuasion, de persuasion, d'affaiblissement et par dessus tout d'humiliation. A t-il conscience d'être une bête, certainement pas, il se vit comme tel. Deux mâles dominants qui vont affirmer leur pouvoir. Daniel a besoin d'entendre Eli avouer ce qu'il est c'est-à-dire ce qu'il n'est pas. Un jeu d'acteur hors du commun. Cette "vengeance"fait référence dans le film à la séquence où l'on voit Daniel à l’Église, avouer qu'il a été un mauvais père. Eli doit l'humilier devant ses fidèles et le frappe pour exhorter son mal. Pour être intégré à la communauté, Daniel doit se plier à ce jeu humiliant. C'est à cette seule condition, à ce prix, qu'il pourra accroître son territoire. Plus on avance dans cette séquence finale, plus les positions de la caméra et des corps évoluent. Ainsi de partir d'une caméra au raz du sol, Daniel couché pour se poursuivre avec une caméra à hauteur d'homme assis (les gros plans de Daniel s'insèrent avec une insistance croissante qui se réfèrent à une cruauté primaire), pour aboutir à des plans plus larges en plongée qui accablent Eli et affirment la toute puissance de Daniel sur son territoire. Il est à noter que cette séquence se déroule dans la salle de bowling de la maison de Daniel, c'est à dire le territoire de sa salle de jeux ! Eli n'aura été qu'un instrument, un jouet, un pantin dans les mains de Daniel, qui ne vise qu’un seul but, celui d'accroître son pouvoir. Daniel a besoin de se trouver un ennemi contre lequel lutter pour affirmer sa puissance. C'est dans ce rapport qu'il existe en tant qu'homme bestial.

SL



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« Ce qui élève l’homme par rapport à l’animal, c’est la conscience qu’il a d’être un animal... Du fait qu’il sait qu’il est un animal, il cesse de l’être. »
Friedrich Hegel

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  • Fiche technique du film
Titre original : There Will Be Blood
Réalisation et scénario : Paul Thomas Anderson (tiré du roman d'Upton Sinclair, "Pétrole !")
Production : Paul Thomas Anderson, Daniel Lupi et JoAnne Sellar
Composition : Jonny Greenwood
Photographie : Robert Elswit
Montage : Dylan Tichenor
Décors : Jack Fisk
Costumes : Mark Bridges
Production : Miramax Films
Distribution : Paramount Pictures
Pays d'origine : États-Unis
Langue : anglais
Genre : Drame Psychologique
Format : couleur - 2.35:1 - DTS & SDDS - 35 mm
Date de sortie :
26 décembre 2007 États-Unis
27 février 2008 France
Budget : 25 000 000 $
Durée : 158 minutes




  B/ PROGRAMME DE PHILOSOPHIE 

 

  • Notions du programme 
    • Le travail
    • Matière et esprit
    • La politique
    • La religion
    • L'interprétation
    • La liberté
    • Les échanges
    • Le bonheur
    • Culture

  • Sujets de philosophie
    • Sujets possibles :
       
      • La lutte pour l'existence est-elle conciliable avec les exigences de la morale ?
      • La foi religieuse implique-t-elle nécessairement une conduite irréprochable ?
      • Dans quelle mesure les échanges contribuent-ils à pacifier les relations entre les hommes ?
      • Faut-il toujours avoir davantage pour être heureux ?
      • Qu'est-ce qui distingue l'homme de l'animal ? 

    • Sujet traité avec corrigé :

  • Notions philosophiques induites
    • La foi
    • Le capitalisme
    • La puissance et le pouvoir
    • La domination
    • La violence 
    • Émotions et sentiments
    • L'argent 
    • L'inconscient  

    • Philosophes concernés
      • Rousseau
      • Hobbes
      • Spinoza
      • Hegel 
      • Marx
      • Nietzsche
      • Freud 

    • Liens avec d'autres films du cycle :




    C/ TESTS ET EXERCICES 

     

    • Questions de recherches cinématographiques 

    • Questions de culture philosophique

      • Le désir de richesses matérielles et le désir de richesses spirituelles s’opposent-ils toujours ? 
        • Peut-on trouver des exemples dans l’histoire et dans la culture universelle où les deux coopèrent, voire se confondent ?

      • Comment le renoncement proclamé aux biens de ce monde peut-il, quelquefois, constituer un moyen d’exercer le pouvoir ? 
        • Trouve des exemples historiques et trouve des exemples dans les œuvres de fiction : littérature, cinéma, séries tv.

      • Pourquoi les hommes sont-ils avides et cupides ? 
        • Le sont-ils toujours et nécessairement ? 
        • Peut-il y avoir des actions sincères, pures et désintéressées ?
        • Cherche des exemples dans l’histoire et la culture universelle.

      • Essaye d’identifier et d’expliquer les citations suivantes :

        • « Le vrai champ et sujet de l’imposture sont les choses inconnues. »
        • « Dieu est mort ! »
        • « La religion est l’opium du peuple »
        • « La religion est la névrose infantile de l’humanité »


      • Parmi les penseurs suivants, lesquels sont croyants (C), agnostiques (A), athées (AT), théistes (T). Cherche la signification de ces termes.

        • Marx, 
        • Saint Augustin, 
        • Kant, 
        • Rousseau, 
        • Nietzsche, 
        • Freud, 
        • Saint Thomas d’Aquin, 
        • Lucrèce.

      • Parmi les penseurs suivants, lesquels considèrent que l’homme est voué naturellement à l’envie et à l’avidité ? 

        • Platon, 
        • Aristote, 
        • Descartes, 
        • Locke, 
        • Hobbes, 
        • Kant, 
        • Spinoza, 
        • Schopenhauer, 
        • Nietzsche, 
        • Freud

    • Suggestions et réponses